LA CGT-FORCE OUVRIERE ET LA LOI DU 11 FEVRIER 1950

, par udfo31

À la fin de la guerre, la Constitution de 1946 reconnaissait le droit syndical, le droit de grève et avait posé le principe de la Sécurité Sociale, mais avait laissé à l’État le droit de se substituer aux partenaires sociaux, en déterminant les conditions de travail et les salaires par décrets ; cela entraînait un dirigisme qui paralysait l’évolution des conditions de vie et de travail de salariés.

Pour correctement appréhender la notion de conventions collectives, il faut rappeler que la Confédération Générale du Travail, lors de son congrès d’Amiens en 1906, définira le rôle et la place du syndicalisme dans la société. Adoptée à la quasi-unanimité, la Charte d’Amiens stipule :

« Le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au-dehors. En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale ».

Léon Jouhaux restera, tout au long de son mandat de Secrétaire général, fidèle à ce principe : en 1936, par exemple, il concluait, au lendemain des accords Matignon « les décisions prises dans la plus complète indépendance » (discours radiodiffusé le 8/6/1936) ; les accords en question reconnaissaient la capacité juridique des syndicats à négocier, mais de surcroît ils démontraient qu’il ne fallait pas attendre des partis politiques, même au pouvoir, la réalisation des revendications, ce qui justifiait l’indépendance qui servira de base à la création de notre organisation syndicale.

L’une des premières importantes revendications de la CGT-FORCE OUVRIÈRE, un an après sa création, fut celle de la libre négociation des salaires et des conditions de travail. Pour obtenir satisfaction, l’Organisation syndicale décidera de lancer un mot d’ordre de grève nationale le 25 novembre 1949.

Il faut dire que le champ d’application et la structure des conventions collectives étaient soumis au contrôle et au bon vouloir du gouvernement. Seulement une dizaine de conventions furent conclues dans ce cadre.

Le succès de la grève interprofessionnelle sera décisif.

C’est, par le rapport de forces provoqué par la grève du 25 novembre 1949 et la pression exercée, qu’il y soixante ans l’Assemblée nationale votait la loi du 11 février 1950. Elle créait ainsi, un salaire minimum et la libre négociation des conventions collectives.

Une nouvelle ère sociale venait de naître et la pratique de la négociation collective allait se développer.

Robert Bothereau, Secrétaire général, puis son successeur, André Bergeron, continueront dans cette voie et négocieront, avec le patronat, les régimes de retraite complémentaire, l’assurance-chômage et la formation professionnelle, et beaucoup d’autres réalisations sociales gérées paritairement.

Mais revenons à l’historique, non sans rappeler qu’en 1947 les communistes s’emparèrent par un coup de force de la CGT. Léon Jouhaux, qui fut le Secrétaire général de l’organisation durant 38 ans, deviendra le Président fondateur de la CGT-FORCE OUVRIÈRE.

Voici comment La Dépêche du Midi du vendredi 18 novembre 1949 relate les événements en première page :

« Mise au point en Conseil de cabinet des textes sur Les Conventions collectives – Fixation d’un salaire minimum – Libre débat des salaires privés à partir du taux minimum –Décrochage du secteur nationalisé – Procédure d’arbitrage et de conciliation […]. Sur la même page, un article intitulé : "la CGT se rallie à la grève générale du 25 novembre partout où l’unité sera réalisée" ».

Évoquant la CGT et l’unité d’action, il est écrit : « À ce sujet, elle a d’abord à prendre position sur le mot d’ordre de grève générale de vingt-quatre heures lancé par Force Ouvrière pour le 25 novembre. Précédemment, les dirigeants cégétistes avaient par avance taxé ce projet de "fanfaronnade" vouée à l’échec ».

Ce même journal titrait en première page le lendemain 19 novembre : « Les syndicats communistes abattent leur jeu : la contre-offensive du 25 novembre, annoncent-ils, sera dirigée contre Force-Ouvrière ». « Nos éditions du matin ont annoncé que la CGT reprenait à son compte l’ordre de grève lancé auparavant par « Force Ouvrière ». Il s’agit, on le sait, d’une grève générale de vingt-quatre heures qui devrait être déclenchée vendredi prochain 25 novembre. Estimant, sans doute, son heure venue en dépit du peu de chaleur que ses troupes ont manifesté dans les derniers jours, la CGT n’a pas hésité à abattre ses cartes, ce matin. L’organe officiel du parti communiste, "L’Humanité", a été chargé de publier un vaste placard où les dirigeants confédéraux exposent les motifs de leur décision ».

« Une telle opération n’était concevable que si la CGT changeait de tactique. On sait que l’une des causes de la scission avait été la politisation de la Confédération syndicale. Après la scission, la CGT a servi, en effet, plus d’une fois de troupe de choc dans les querelles politiques, non seulement intérieures, mais internationales "pour protester contre la politique de marshallisation et d’hostilité à l’Union Soviétique" ».

Lien Wikipedia sur le plan Marshall : http://fr.wikipedia.org/wiki/Plan_Marshall

L’aide à l’Europe, proposée par le secrétaire d’État américain, Georges Marshall, allait entraîner un rejet de la part des Partis communistes réunis en Pologne en septembre 1947, sous l’égide du Kominform, créé pour les besoins de la cause par Staline. Le 27 novembre 1947, les communistes français dirigeront directement le Comité de Grève national. Ces grèves, autant politiques que professionnelles, deviennent vite purement politiques et s’apparentent par moment à une guerre civile dont le but était la prise du pouvoir en France.

Nous trouvons là, la réponse à la question : pourquoi la scission syndicale de 1948 ?

On comprend, dès lors, l’antipathie chronique des communistes à l’égard de la CGT-FORCE OUVRIÈRE.

Depuis la Libération, l’action de la Confédération s’inscrit en droite ligne avec les orientations de la « vieille CGT ».

Georges Buisson, Secrétaire confédéral, deviendra le père de la « Sécurité sociale » dont il fut le rapporteur de la loi en 1945.

Lien du Musée de la Mutualité : http://www.musee.mutualite.fr/musee/musee-mutualite.nsf/PopupFrame?openagent&Etage=x&Piece=x&Nb=1&Ref=buisson

La Loi du 11 février 1950 ouvrira la voie aux conventions collectives, à l’instauration des régimes des retraites complémentaires en 1957, à la création du régime d’assurance chômage en 1958.

La CGT-Force Ouvrière obtiendra par la négociation avec le patronat et les pouvoirs publics de nombreux accords cadres.

Lien extrait de « Bienvenue au Sénat » http://www.senat.fr/rap/l03-1792/l03-17922.html

« En vingt ans, ce sont 261 conventions collectives nationales, 184 conventions, régionales, 495 conventions locales et 737 accords d’établissements qui ont été conclus ».

Ces réformes importantes figuraient au programme du Conseil National de la Résistance réuni pour la première fois, par Jean Moulin, le 27 mai 1943.

Conseil National de la Résistance, vu ci-dessous, par Jean Vigreux, professeur d’Histoire à l’Université de Franche-Comté et directeur du musée de la Résistance en Morvan. Extrait du Nouvel Observateur hors-série, avril-mai 2010.

« En mai 1943, la naissance du Conseil National de la Résistance (CNR) achève le processus d’unification des mouvements résistants – forces politiques de droite et de gauche, syndicats et mouvements issus de la clandestinité, Résistance intérieure et France libre. L’enjeu fédérateur est de taille : préparer la libération du territoire, organiser la reconstruction du pays, restaurer l’idéal républicain et la vie démocratique. Le Comité général d’étude du CNR dresse alors un plan politique pour la Libération. Ainsi publie-t-il, un projet de gouvernement, connu sous le nom de charte (ou programme) du CNR ».

Denis Kessler, ancien Vice-président exécutif du MEDEF de 1998 à 2002, écrivait dans le numéro du 4 octobre 2007 de « Challenges » :

« Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie. […] Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance ! »

Personne n’oserait, aujourd’hui, contester l’efficacité de la négociation collective dans le pays. Durant les trente glorieuses, elles ont été l’instrument de répartition des richesses et des garanties sociales. L’originalité française était que la négociation se situait à différents niveaux, de l’entreprise à la profession et à l’interprofessionnel, et la CGT-FORCE OUVRIÈRE fut experte en la matière, on lui doit pratiquement tous les régimes de protection sociale qualifiés, du fait de leur origine, de paritaire, ce qui répond à deux principes : le premier, la reconnaissance de la classe ouvrière dans son ensemble, le droit de cité du syndicat en quelque sorte ; le second, la notion égalitaire de la République, ce qui nous différencie des autres pays, notamment anglo-saxons, où la négociation est limitée à l’entreprise.

L’Organisation Internationale du Travail a adopté en 1949 la norme n° 98 qui complète le droit d’association des travailleurs et recommande la négociation pour stabiliser les rapports entre employeurs et salariés. Avec l’adoption de la loi du 11 février 1950, la France apparaît comme exemplaire en la matière : c’est la raison pour laquelle la loi sur la représentativité adoptée en 2008 risque de porter un coup décisif à la capacité des syndicats à négocier.

Déjà le Président du MEDEF, lors de son congrès de Strasbourg, a déclaré qu’il ne serait plus question, pour l’organisation patronale, de négocier au niveau national, donc de manière interprofessionnelle (voir les statuts du MEDEF).

Ainsi le gouvernement – mais en est-il conscient ? – risque d’encourager les syndicats en limitant le champ de négociation vers l’expression politique, avec l’asservissement que cela sous-entend.

Voici la réaction du Conseil Départemental de la Résistance de la Haute-Garonne

Le Conseil Départemental de la Résistance de la Haute-Garonne s’est réuni, en Assemblée générale, le 30 novembre 2007, à Toulouse, ses membres présents :

– tiennent à stigmatiser les paroles prononcées par Monsieur Denis Kessler, ancien Vice-président du MEDEF, desquelles la presse hebdomadaire (Challenges, Marianne, etc.) s’est fait l’écho et qu’ils jugent insultantes pour la Résistance intérieure et extérieure.

– Citent in extenso les propos tenus en public : « Il s’agit de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance ».

– S’insurgent du fait que le programme de la Résistance, adopté en Assemblée générale le 15 mars 1944 à Alger (composée des organisations de la Résistance, des centrales syndicales et des partis ou tendances politiques groupées au sein du CNR), soit aujourd’hui pollué par des relents pétainistes exhalant des relents de politique antisociale, donc arriérée.

– Rappellent que l’unité de la Résistance a réussi la Libération de la France en créant des liens qui ont permis la réconciliation des Français.

– Soulignent que le programme de la Résistance est pour partie inscrit dans le préambule de la Constitution, que Monsieur Denis Kessler ne saurait ignorer.

– Affirment que le programme adopté à Alger est une source de progrès sociaux (avènement de la Sécurité Sociale, instauration de la retraite des vieux travailleurs, droit au travail), lesquels s’établissent dans le temps en s’améliorant et non pas l‘inverse.

– Demandent que la présente motion, discutée et votée à l’unanimité, soit reprise par la presse, dont l’indépendance est le fleuron, à titre de droit de réponse et de l’idéal républicain de la Résistance, dont la flamme ne s’éteindra pas. Fin de citation

Note de Georges Portalès : la motion ci-dessus me fut remise par Monsieur Marcel Granier, actuel président du CDR de la Haute-Garonne. Pour ce qui concerne Denis Kessler, qui est Président de la Fédération Française des Sociétés d’Assurances, celui-ci a récidivé dans l’éditorial du journal Challenges, numéro du 10 novembre 2010, en discréditant, une nouvelle fois, notre système de protection sociale !

Les grandes manifestations de 2010 contre la réforme des retraites ont mobilisé en France plusieurs millions de salariés, de jeunes étudiants et de retraités.

Aujourd’hui, le pacte social établi à la Libération est remis en cause : c’est une menace pour l’équilibre de notre société !

Georges Portalès, Syndicaliste CGT-FO, membre de l’Association pour des Etudes sur la Résistance Intérieure. Toulouse, le 5 mars 2011.